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L'homme qui marchait sur les îles

10 avril 2008

Souvenez-vous d'Eva ...

Eva

Souvenez vous d'Eva ...

               Bien que protégés par la maison de l'alizé frais de décembre , tous les invités présents à       la table d'hôte, dressée sur la terrasse, frissonnaient...

Même l'eau de la piscine se troublait en écoutant Eva la rousse ...

Ses yeux verts et ses formes pleines auraient suffi à capter l'attention de tous les convives .

Personne ne la connaissait ; pendant tout le repas , je n'avais pas été le seul à diriger la conversation vers elle pour le plaisir de voir bouger ses lèvres humides , savoir aussi ce qui l'avait amenée à se joindre à nous ce soir de lune ...

Même le regard des femmes se faisait interrogateur en essayant de croiser ses yeux verts ... alors imaginez celui des hommes qui la caressaient, la déshabillaient, la couchaient dans leurs rêves ...

Qui se souvient de ce que nous avons pu manger ce soir là.

Il fallait faire un effort pour la quitter, ne serait-ce qu'un instant.

Il aura fallu les vapeurs lourdes de quelques Saint Emilion (Dieu le garde ...) , pour que les langues se délient, osent poser les questions ... qu'elle nous dise pourquoi elle existait, et pour qui ?

Sa voix un peu cassée , de lendemain de fête, se répandait parmi nous , laissant parfois éclater son rire .

Elle finit par nous lâcher quelque aveux ...

Elle passait le plus clair de son temps à mater des caractères difficiles ... à se faire obéir .

Nous étions tous prêts à nous soumettre , enfin je veux dire nous, les hommes présents, mais peut être aussi quelques femmes , sait-on jamais ?

Nous le lui avons avoué ... et dans une cascade de rires rauques , nous apprîmes qu'elle était plutôt attirée par une sorte de fauve à quatre pattes ... mais avions-nous jamais refusé de marcher ainsi !

Elle ne vivait que pour un élevage de molosses de garde et s'était spécialisée dans la partie dressage de défense et d'attaque .

Son plaisir suprême était de servir de leurre d'attaque pour les plus féroces . Elle revêtait sa combinaison spéciale , ses bottes de cuir renforcées de métal , son masque de combat et entrait dans l'enclos pour subir l'assaut...

Elle prenait surtout son pied avec le dressage de deux Pits Bulls , Bugs et Bunny , commandés par un nanti des Terres Basses pour assurer la quiétude de ses nuits .

Tous les hommes assis à la table étaient suspendus à ses lèvres, et nous rêvions tous d'être Bugs ou Bunny pour l'assouvir .

Car ses paroles ne laissaient guère de doute : sa jouissance était si forte dans son combat rapproché avec ces monstres que nous avions tous compris qu'elle devait en mouiller ses dessous .

Nous n'avons jamais revu Eva la rousse après cette soirée qui nous avait tellement remués les tripes ...

Eva avait la nostalgie de ses deux amours de Pits Bulls qui avaient été livrés à leur propriétaire des Terres Basses ...

Elle lui téléphona pour lui demander si elle pouvait venir rendre une petite visite d'amoureuse à ses deux fantasmes ...

Le propriétaire lui proposa aimablement de passer quand elle le voulait.                                    

Une fin d'après-midi , elle prit sa Pontiac Bonneville immatriculée dans l'Arizona pour descendre de Mont Vernon aux Terres Basses . Sa couleur verte acidulée se confondait avec celle de ses yeux . Une fois de plus , en traversant Marigot, les conversations s'arrêtèrent sur son passage , le temps de suivre du regard le passage d'un rêve ...

Elle laissa sa voiture devant le portail en teck huilé de la propriété . Par l'interphone , la doudou lui apprit que le propriétaire n'était pas là , mais lui ouvrit la grille électrique ...

Nous étions encore en hiver , à l'heure ou le soleil vient de disparaître derrière le Morne Rouge , ou si vous préférez entre "chien et loup ".

Eva s'avança dans l'allée bordée de jeunes palmiers royaux . Elle n'avait même pas vu Bugs et Bunny tapis dans l'ombre d'un petit flamboyant. Leurs yeux rouges suivaient Eva remontant l'allée ... Ils n'avaient pas bougé d'un millimètre mais leurs narines dilatées au maximum leurs avaient signalé l'odeur de leur ennemi de toujours .

Ils bondirent en silence derrière Eva ... car ils avaient bien retenu leur leçon : surtout ne jamais aboyer !

Ils la trouvèrent beaucoup plus tendre que d'habitude . Forcement, elle n'avait pas revêtu sa combinaison spéciale .

Ils trouvèrent même la partie trop facile et ne comprirent pas pourquoi elle se séparait en plusieurs morceaux ...

Ils comprirent encore moins pourquoi le lendemain , alors qu'ils étaient attachés dans leur niche de béton, les babines encore recouvertes de croûtes de sang séché, un individu en uniforme vint en compagnie de leur maître ... pour leur tirer une balle dans la tête .

Lors du procès qui eu lieu un an plus tard à Basse Terre , on interrogea leur maître qui n'avait pas grand chose à dire .

Il aurait plutôt fallu donner la parole à Bugs et à Bunny qui eux, avaient bien connu Eva la rousse .

Souvenez vous d'Eva ...

Avrio Palli


TOUS DROITS RESERVES

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7 avril 2008

Le Pain de Spiros

Le_pain_de_Spiros

Où que me porte mon voyage ...

Le pain de Spiros

" On traverse une terre comme on épuise un amour . On est changé par ce qu'on traverse . Le paysage afflue dans le corps . Le vent s'engouffre dans le sang . Le ciel remonte au coeur . On regarde les oiseaux qui s'affairent dans un arbre abondant, chevelu . Ils s'appellent, se répondent, le bec éclaboussé d'ombre . De jeunes mendiants rieurs, sous le manteau du roi . On prend entre ses doigts un papillon desséché, accroché à une feuille de mûrier . L'art de marcher est un art comtemplatif . D'abord on regarde ce qu'on passe, ensuite on le devient . On n'est plus qu'une traversée lumineuse du paysage par lui même . Soi-même on n'est plus qu'un papillon mort, déchiré par le vent . On ne lutte plus avec l'air, avec le vide qui est dans l'air, avec les anges qui sont dans le vide . On est comme dans cette histoire racontée à l'enfant par sa mère : « Quand j'avais ton âge, j'étais si menue qu'un jour de colère le vent m'a soulevée et m'a emportée très loin, avec mon parapluie rouge •• rouge comme un coquelicot, rouge comme une parole d'amour, mon amour .» "

Christian Bobin - Eloge du rien - Fata Morgana

Les violentes rafales de Nord-ouest descendaient du Pantecrator , balayaient la mer dans la baie d'Ypsos et levaient un furieux clapot dans le vieux port de Corfou . Les gros caïques de pêche se balançaient mollement, mais les quelques voiliers de voyage comme le nôtre roulaient bord sur bord, et faisaient vibrer leurs amarres . Cela créait une certaine tension à bord , et nous décidâmes de changer d'air.

Une petite laine d'automne, un saut sur le quai et nous hâtions le pas pour fuir le vent froid de Novembre .

Après quelques envolées de marches les hauteurs de la ville découvraient un autre monde .

Abritées du vent, les merveilleuses arcades, dessinées par Ferdinand de Lesseps et copies conformes de notre rue de Rivoli, nous offraient le calme et la chaleur de ses confortables "caféneons" grouillant de monde.

A l'ouzo, j'ai toujours préféré la bouteille de vin blanc en apéritif ; pour le goût mais aussi pour l'image de convivialité qu'elle symbolise ; car une bouteille se partage et vous permet d'inviter vos amis ou de simples connaissances ... Les jeunes grecs ont détruit ce symbole pour une autre raison : pour eux, la bouteille de vin partagée leur rappelle la pauvreté qu'ils veulent oublier ; ils préfèrent commander une bière pour montrer au monde qu'ils ont les moyens de se payer une consommation pour eux tout seul !

Notre connaissance, même médiocre, de la langue grecque nous permettait de lier des conversations automnales, interdites aux touristes qui avaient regagné leur quartiers d'hiver en France ou en Angleterre ...

Notre voisin de table, Vassilli Mouhas, gérait un certain nombre de villas à louer l'été qui restaient désespérément abandonnées les longs mois d'hiver ...

La bouteille de blanc épuisée, le courant était bien établi entre nous et il promit de venir nous rendre visite le lendemain sur notre voilier


A l'aube, le vent avait légèrement tourné au Nord , mais n'avait pas molli ... Vassilli semblé éberlué de nous voir envisager avec sérénité de passer l'hiver dans cette sorte de cave, certes en acajou , mais bien agitée à son goût.

Il proposa de nous prêter pour quatre mois une de ses villas. Ce projet impromptu ne semblait pas déplaire à Adrénaline , ma compagne de route depuis de longues années, et nous acceptâmes. Toutefois je posais une condition à Vassilli : en échange de l'hospitalité qu'il nous offrait, je lui proposais d'effectuer des petits travaux de peinture , d'électricité ou autres ...

Deux jours plus tard, nous nous installions dans une ancienne maison de pêcheurs , dans la hameau de Kaminaki, au Nord de l'île .

Nous n'avions pas de voiture et il nous faudrait prendre le car, une fois par semaine pour descendre à Kerkira .

Mais pour le pain , les gens du village m'expliquèrent qu'il y avait un "fourno", dans la montagne , qui faisait du pain pour les gens des alentours ...

Le lendemain, après mon petit déjeuner habituel : deux oeufs au plat , mais des vrais oeufs de poule, pondus la veille dans le village , pas dans une boite en carton ou en plastique, frits dans de l'huile d'olive trouble, pressée elle aussi au village et vendue au kilo (!) , suivi d'un café noir, je chaussais mes baskets pour monter au "fourno", perdu au milieu des oliviers cinq fois centenaires , à mi pente du Pantecrator.

Suivant les indications d'Adonis, il y avait un bon quart d'heure de marche dans la montagne .

Je grimpais parmi les oliviers, l'herbe était recouverte de rosée, l'air était vif, et le plaisir de marcher était intense ...

"Monopati" , un seul pied : c'est le joli mot grec pour signifier le sentier ou la sente en Français .


Je savais que la fournée était prête vers 9 heures et demi environ, car Spiros n'était pas vraiment un lève-tôt ! ; j'arrivais sur une sorte d'esplanade pavée de belles pierres et entourée d'un petit mur circulaire en pierres lui aussi ; une trentaine d'hommes et de femmes , tous grecs bien entendus, étaient assis , attendant l'ouverture du "fourno". Ils devisaient entre eux, sans doute de la prochaine récolte des olives ou de la pêche au poulpes ...

Les conversations s'arrêtèrent à mon arrivée, le temps d'échanger quelques "Kalimerasas", et reprirent de plus belle pendant que je m'asseyais parmi eux .

Quelques minutes plus tard, le boulanger ouvrit les portes de sa maison et nous laissa entrer .

Je laisser passer tout le monde , et me retrouvait, un peu comme à l'église, juste à l'entrée de la porte et derrière toute l'assemblée qui attendait face au long comptoir en bois .

Le boulanger ouvrit les petites portes noires métalliques du four, engagea sa longue palette en bois à l'intérieur et en sortit les premiers pains en forme ce cake .

Il posa le premier pain brûlant sur le comptoir...

J'observais la scène de loin , par dessus la tête des autres clients et je me régalais de ces petites joies que nous avons un peu oubliées en France.

Le boulanger enveloppa le premier pain et le remit à une jeune femme d'une trentaine d'années environ .

Celle-ci prit le pain, se tourna vers tout le monde et dit :

"Si vous le voulez bien, le premier pain est pour l'étranger !"

Ma compréhension de la langue grecque était balbutiante et je me demandais si j'avais bien entendu .

Mais la jeune femme me regarda, me tendit le pain et la foule s'écarta pour me laisser passer ...


En arrivant au comptoir , le coeur me cognait tellement et j'avais la gorge tellement sèche , que je bredouillais quelque vagues remerciements.

Je tremblais en sortant les quelques drachmes de mon porte monnaie .

Je ressortis, serrant contre ma poitrine le pain encore brûlant.

Pendant toute la descente, le long du sentier qui plongeait vers la mer, j'avais les jambes molles et tremblantes d'émotion ... Il fallait que je partage ma joie au plus vite.   En arrivant sur la plage de galets, je me mis à courir vers la maison ...

Adrénaline , debout sur la terrasse, s'immobilisa , et devinant mon rire de bonheur qui allait éclater, sut que je venais de vivre quelque chose de rare et de beau ...

                                                                                                                                     Avrio Palli


Le_pain_de_Spiros_2


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L'homme qui marchait sur les îles
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